Bercy pique dans les portefeuilles

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Libération publiait le 21 mars 2003 cet article édifiant…

Rigueur oblige, le gouvernement supprime 1,4 milliard d’euros de crédits à plusieurs ministères

Par Didier Arnaud, Emmanuel Davidenkoff, Hervé Nathan, Tonino Serafini et François Wenz-Dumas

Dans l’enseignement, plusieurs nouveautés lancées par Jack Lang ne survivront pas aux 40 millions de crédits supprimés pour les dépenses pédagogiques.

Les bruits de guerre en Irak ont éclipsé le premier véritable acte de rigueur du gouvernement. Le Journal officiel a publié le 15 mars un décret d’annulation de crédits à hauteur de 1,4 milliard d’euros dans différents budgets civils. Hier, devant le gouvernement, Jean-Pierre Raffarin a justifié cette mesure par la nécessité d’« affronter le ralentissement de la croissance internationale ». Mais, à la différence du gel décidé en février, qui portait sur 3,9 milliards d’euros, l’annulation est un véritable couperet. Grosso modo, elle divise par deux les crédits civils supplémentaires votés par le Parlement en décembre.

Du côté de Bercy, le discours se veut rassurant. Alain Lambert demeure ferme sur les principes: l’État dépensera les 273 milliards d’euros votés par le Parlement, ni plus, ni moins. Une annonce qui fait mine d’ignorer que Bercy a décidé de supprimer les 11 milliards de « crédits de report », accumulés sur plusieurs années, pour ne conserver qu’un petit reliquat de 2002 : environ 700 millions. Résultat, alors qu’en 2002 l’État avait contribué à la croissance, il devrait cette année, contribuer au ralentissement économique. Parmi les lignes budgétaires annulées, quelques victimes ne feront pas pleurer les Français : la Direction générale des impôts devra se passer de 24,6 millions de « dépenses diverses », comme les services généraux de Matignon (-2,6 millions). Mais à l’heure des fermetures de Metaleurop et de Daewoo, la ligne « reconversion et restructurations industrielles » du ministère de l’Industrie doit, elle, sacrifier 4,9 millions. Revue des principaux ministères et secteurs mis au pain sec.

Éducation et Jeunesse

Les universités n’ont pas fini de racler les fonds de tiroir pour payer leurs factures. Si les annulations de crédits de l’Éducation nationale touchent l’ensemble des secteurs, jeunesse comprise, c’est le supérieur qui paye le prix le plus élevé. Les autorisations de programme, qui permettent de lancer des chantiers nouveaux et d’assurer la maintenance lourde, perdent 65 millions d’euros; à ajouter aux 38 millions de crédits de paiement annulés sur les mêmes chapitres budgétaires. La promesse d’une rentrée très tendue est inscrite dans ces coupes annoncées.

Dans l’enseignement scolaire, les nouveautés lancées par Jack Lang ne survivront pas: les 40 millions de crédits supprimés pour les dépenses pédagogiques condamnent aussi bien les classes à parcours artistique et culturel que les projets de généralisation de l’enseignement des langues vivantes dans le primaire. Les handicapés, pourtant cause nationale et priorité présidentielle, sont également touchés: -16 millions de crédits pour les actions pédagogiques dans le primaire et le plan d’accès à l’autonomie des élèves handicapés.

La jeunesse se réveille elle aussi avec la gueule de bois. Malgré l’opération « Envie d’agir » que vient de lancer le ministre, 21,8 millions d’euros sont supprimés. Et 30 millions de crédits sont annulés pour les bourses d’étude. Ainsi, hors annulations d’autorisations de programme, la Jeunesse et l’Enseignement scolaire perdent au total 177,2 millions et l’Enseignement supérieur, 43,9 millions.

Logement

Bercy a coupé à la hache dans « la ligne fongible » qui regroupe les crédits dévolus à la construction et la réhabilitation de HLM, mais aussi les financements destinés à l’Agence nationale de l’habitat qui accorde des subventions pour améliorer le confort des logements privés. Sur une enveloppe totale de 1,002 milliard d’euros, Bercy a demandé 121 millions d’euros d’économies à Gilles de Robien. « Sur le terrain, cela se verra à partir de 2004. Il y aura moins d’immeubles construits et donc moins de logements livrés. On réhabilitera moins de bâtiments aussi », se désole un responsable de l’Union sociale pour l’habitat qui regroupe les organismes de HLM. Ces coupes interviennent alors que la Fondation Abbé-Pierre s’alarme d’une crise du logement marquée par une forte pénurie locative. Elles sont aussi critiquées parce qu’elles contribuent à plomber la croissance.

Recherche

Le ministère a perdu 117,8 millions, dont 38 pour le seul CNRS. Une coupe qui a provoqué les premières manifestations « anti-gel » à Paris, où environ 6000 personnes ont défilé, comme à Toulouse et Marseille où une centaine de chercheurs du CNRS, de l’Inserm et des universités ont protesté en arborant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Sciences sans finances = ruine de la France », ou encore « No research, no future ». « Fin 2002, l’État a supprimé 150 millions d’euros de crédits pour la recherche et l’université », accusent les syndicats, à quoi s’ajoutent en 2003 « 17 % de gel de crédits de paiement pour la recherche et 25,5 % pour les universités ».

Emploi

François Fillon a annoncé mardi que 300 millions d’euros seront dégagés pour des mesures nouvelles en faveur de l’emploi. Mais son ministère contribuera à hauteur de 167,5 millions d’euros aux économies demandées à chacun. Ce qui reviendrait à une petite rallonge de 132,5 millions. Non, explique-t-on au ministère du Travail, pour qui ces 167,5 millions en moins ne représentent que 1,1 % d’un budget de 15 milliards d’euros, soit la marge d’erreur habituelle des prévisions de dépenses. Le ministère a identifié trois chapitres qui peuvent être revus à la baisse: crédits de formation professionnelle inutilisés, emplois-jeunes non remplacés, subventions à l’ANPE qui peuvent attendre. Il y aura donc bien 167,5 millions d’euros d’économies, tandis que les contrats emploi-solidarité et les contrats initiative-emploi bénéficieront d’une vraie rallonge de 300 millions. En partie financée par redéploiement des crédits du ministère, concède-t-on Rue de Grenelle.

Sécurité routière

133,2 millions d’euros. C’est le chiffre des crédits qui disparaissent au titre « transports et sécurité routière ». Cette décision tombe alors que l’Assemblée a adopté hier le projet de loi contre la violence routière. « Pour une priorité présidentielle, il n’y a jamais eu de ligne clairement dégagée », commente Geneviève Jurgensen, de la Ligue contre la violence routière. Quels domaines seront concernés par l’annulation de ces crédits ? Le ministère des Transports assure que « les actions de sécurité routière » ne seront pas touchées. « On essaie de jouer sur ce qui fait le moins mal », ajoute-t-on. Certaines études non engagées pourraient être différées. D’autres ne seraient pas reconduites, notamment des travaux destinés à améliorer la connaissance scientifique. Quant à la participation de l’État à certains montages avec les collectivités locales, elle pourrait être revue à la baisse.

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