Lettre du Snes
au Ministre de l'Éducation

accueil général-archives-lettre à Jack Lang

Le 10 décembre dernier, un grand nombre de nos collègues ont exprimé le souhait que le gouvernement prenne mieux en considération les difficultés de notre métier et ouvre des discussions sur la façon d’améliorer la condition enseignante ; ils s’apprêtent à faire encore entendre leur voix par la grève le 24 janvier prochain. Nous voudrions ici vous préciser, comme nous l’avons fait oralement auprès de vous le 4 janvier, les mesures que notre profession attend pour l’aider à sortir des difficultés qu’elle connaît.

En effet, la place nouvelle qu’occupent l’école et la formation dans notre pays, les obligations de réussite qu’elle implique, le prolongement des scolarités, les diversités culturelles et les fortes évolutions de la société, ont modifié profondément les conditions de l’enseignement dans le second degré. Le chômage de masse, les ségrégations, les évolutions de la famille, les économies parallèles, l’influence des médias, le discrédit du politique, la montée des violences ont des conséquences sur le comportement des élèves et contrarient sans cesse les exigences de l’école : ouvrir les esprits à la culture, créer du lien social, former des personnes et des citoyens responsables et libres dans leur jugement, donner confiance dans l’avenir, valoriser le travail, faire admettre l’utilité des règles et des lois,...

Les réformes incessantes depuis vingt ans n’ont guère aidé l’école à faire face à ces phénomènes. Une innovation chasse la précédente ; l’empilement des prescriptions devient illisible, embarrasse plus qu’il n’aide en renvoyant au local et aux individus le soin d’arbitrer des fins et des moyens souvent incompatibles comme ceux qui opposent le travail en classe, laissé dans l’ombre, aux activités périphériques qui constituent l’essentiel des innovations et des projets d’établissement, ceux qui opposent les pédagogies actives, dévoreuses de temps et souvent préconisées, aux réductions d’horaires disciplinaires qui confortent des méthodes plus directives, ceux qui opposent le scolaire aux travaux d’un nouveau type qui visent à « déscolariser » au contraire les activités des élèves, ou tout simplement les arbitrages incessants entre le temps passé à faire admettre des règles de vie collective et les besoins de l’enseignement.

De tout cela, il ressort que la gestion et la maîtrise de classes souvent bien trop chargées en effectifs, la nécessité de tout expliquer, justifier, négocier avec des élèves qui, pour certains, ont beaucoup de difficultés à s’investir dans les apprentissages, l’accroissement de la charge de travail qu’impliquent les exigences nouvelles de vie de classe, d’interdisciplinarité, de travail collectif, d’individualisation pédagogique, de relations avec les familles et l’environnement, d’actualisation permanente des programmes sans véritable formation continue, ont très largement complexifié notre métier, mettent à l’épreuve les professeurs, les documentalistes, les CPE, les CO-Psy et les MI-SE. Ces problèmes n’ont pas de solution simple. Les enseignants attendent des pouvoirs publics non seulement qu’ils ne rajoutent pas par des réformes intempestives des difficultés supplémentaires, mais qu’ils les aident à les résoudre et leur permettent de trouver en eux les ressources pour les surmonter.

C’est pourquoi, nous attendons de vous que vous ouvriez des discussions et des négociations sur les principaux leviers qui permettraient de rompre avec la crise de nos métiers : la réduction des tensions par la limitation de la charge de travail et la réduction du temps de travail, le développement de l’efficacité et de la mobilité professionnelle par la formation continue et la création de lieux de débat et de confrontation, la revalorisation des carrières, notamment pour les jeunes afin de rendre le métier plus attractif, la résorption définitive de la précarité et la montée en charge des recrutements.

1. Limitation de la charge et du temps de travail

Nous sommes prêts à explorer tout ce qui permettrait de se rapprocher progressivement, en programmant les mesures dans le temps, d’un service d’agrégé amélioré pour tous les professeurs du second degré en commençant par une diversité de mesures qui aboutiraient, dans l’immédiat, à ce qu’aucun professeur certifié ne fasse plus de 17 heures et à ce que tous les professeurs puissent bénéficier de temps pour le travail en équipe.

Parmi les mesures immédiates, nous pensons qu’on pourrait accorder un temps forfaitaire de concertation pour tous les collègues chargés de tâches de coordination, d’enseignement à dimension interdisciplinaire, de suivi des élèves les plus en difficulté, d’exercice en ZEP.

Nous attendons également des dispositions réglementaires nouvelles permettant d’en finir avec les seuils de dédoublement imposés par les recteurs, avec la répartition inégalitaire des élèves dans les classes (visant à économiser le financement des heures dédoublées), pour lever les ambiguïtés de la circulaire TPE, pour supprimer le recours aux HSE pour toutes les tâches à caractère permanent et action de lutte contre l’échec(en particulier dans les collèges).

Nous attendons une réactualisation des décrets statutaires pour qu’ils permettent de revoir les minorations de service dans un sens plus conforme à la réalité des effectifs des classes actuelles et plus favorable aux collègues, pour qu’ils permettent d’étendre les décharges statutaires à des situations nouvelles (salles informatiques, extension de la première chaire, décharge pour service sur plusieurs établissements, abattements pour compléments de service etc) et suppriment les majorations abusives.

Nous attendons une prise en compte effective des heures de formation pour les documentalistes (27h dans un premier temps) d’autant plus justifiée qu’ils sont de plus en plus sollicités par les dernières réformes.Nous attendons enfin une montée en puissance du dispositif de décharge pour complément de formation pour les néotitulaires.

2. Formation continue, enrichissement et mobilité professionnelle

Le système compte pour l’essentiel sur la capacité des enseignants à s’autoformer et mobilise le peu de moyens dont dispose la formation continue pour informer les personnels des réformes. L’ampleur des évolutions suppose une conception radicalement nouvelle et des moyens en crédits et en remplacement beaucoup plus importants. La formation continue doit offrir des mises à jour régulières au plan scientifique, un perfectionnement individuel, des possibilités d’adaptation à de nouvelles situations de travail, des possibilités de mobilité et de reconversion. Elle doit se conjuguer avec des lieux de débat et de confrontation entre pairs et avec la recherche pour penser de nouveaux modèles professionnels et l’évolution des disciplines. Elle doit éventuellement ouvrir des voies nouvelles de validation des acquis et de promotion.

Dans l’immédiat nous demandons que soient rétablis les congés mobilité, et augmentés les congés formation, que soit reconnu le droit à formation continue sur le temps de service et qu’on programme un crédit annuel éventuellement cumulable pour dépasser les 2,3 jours actuels de formation et aller progressivement vers 15 jours de formation par an.

Dans chaque académie, devraient être créés des lieux d’échange ouvrant droit à autorisation d’absence, animés par les enseignants eux-mêmes.

3. Revalorisation des carrières

Nous visons quatre grands objectifs : améliorer les débuts de carrière avec répercussion sur l’ensemble de la carrière, réparer les injustices liées aux décrets de 89 et 83, développer la promotion interne et placer le corps des agrégés, une fois revalorisé, comme référence pour le second degré, aménager les fins de carrière et faciliter la mobilité professionnelle (reconnaissance des fonctions de tuteur, de conseiller pédagogique, de coordonnateur, de responsable TICE... ; accès à le recherche, services partagés etc.). Ces mesures doivent avoir des retombées pour les retraités.

Parmi les mesures urgentes, nous demandons une amélioration indiciaire des débuts de carrière, une accélération du déroulement de carrière (rythme actuel du grand choix pour tous jusqu’au 6ème échelon) et une indemnité de première affectation. Ces mesures devraient se répercuter sur l’ensemble de la carrière par raccourcissement de la durée de carrière en classe normale.

Le ministère a reconnu les injustices faites aux PEGS et CE d’EPS et vient de prendre des mesures pour assurer un accès minimum au 11e échelon des certifiés à ces personnels et un accès significatif aux indices terminaux de la hors-classe des certifiés. Les autres contentieux visant des corps en extinction doivent être réglés de la même façon. Parmi les injustices à réparer, figurent aussi la création d’une hors-classe des CO-Psy. indépendamment du grade de directeur, la parité avec l’échelle indiciaire des certifiés et l’augmentation des indemnités des DCIO, CO-Psy, documentalistes et CPE au niveau de la part fixe de l’ISO.

Nous demandons à la fois une amélioration des reclassements pour tous les personnels (en particulier pour les contractuels titularisés), le développement de la promotion interne (passage du 1/7 des postes au 1/5) et l’augmentation du recrutement interne et externe d’agrégés et l’élargissement de la hors-classe et de l’accès aux chaires supérieures (respecter le pyramidage et le passer de 15 % à 25 % en 3 ans).

Enfin, nous voulons une révision de l’ISO, notamment de sa part modulable.

4. Résorption de la précarité et montée en charge des recrutements

L’accélération des dispositifs de titularisation doit s’accompagner d’une amélioration de la gestion des non-titulaires, notamment il doit être mis fin immédiatement aux pratiques de certains recteurs, qui aggravent la précarisation en transformant les contractuels en vacataires.

La montée en charge des recrutements peut permettre l’arrêt du recrutement de nouveaux précaires à condition que tous les postes soient pourvus ; il faut pour cela que des prérecrutements sous forme de cycles préparatoires et d’allocations soient mis en place et ciblés dans un premier temps sur les disciplines les plus en difficulté. Les prérecrutements peuvent en outre contribuer à la démocratisation de l’accès aux métiers d’enseignement et d’éducation.

Nous vous demandons, Monsieur le Ministre, non seulement de mettre en oeuvre la mise à plat, dans un souci de transparence, de toutes ces questions, comme vous vous y êtes engagé auprès de nous le 4 janvier dernier, mais aussi d’ouvrir des discussions permettant de déboucher sur des améliorations substantielles de la condition enseignante, propres à stimuler une nouvelle étape de développement du système éducatif.

Gisèle Jean, Frédérique Rolet, Bernard Boisseau, François Labroille, Jean- Marie Maillard, Denis Paget, cosecrétaires généraux du SNES

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