Commerce et éducation…

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MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE

Délégation aux relations internationales et à la coopération

Sous-direction des relations multilatérales

NOTE DE COMPTE RENDU

Objet: réunion du 8 décembre 1999, sur la libéralisation du commerce des services à caractère éducatif dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (GATS)

La délégation aux relations internationales et à la coopération du MENRT a organisé, le 8 décembre 1999, une réunion visant à clarifier l’enjeu des négociations relatives à la libéralisation des services à caractère éducatif qui devaient s’ouvrir à Seattle. La liste des participants figure en annexe.

Les débats ont fait apparaître que la situation actuelle et les développements possibles des négociations de 1’OMC appelaient une analyse contrastée: les négociations en cause ne sauraient faire peser un risque immédiat sur le service public français, mais le contexte international générait en tout état de cause des menaces indirectes, plus insidieuses, qui le mettaient à terme en péril.

L’éducation et la formation mobilisent des moyens financiers considérables, en particulier dans les pays développés. Dans les 29 États membres de 1’OCDE, selon une statistique établie par cette organisation, elles engendrent une dépense publique d’environ 1 000milliards de dollars, répartis entre quelque 320 000 établissements et 4 000 000 d’enseignants, en faveur de 80 000 000 d’élèves et d’étudiants. Ces chiffres, qui n’englobent pas le secteur de la formation continue, désignent l’éducation comme un enjeu économique de premier plan, sachant surtout que, dans les mêmes États, la dépense privée n’a pu être évaluée précisément, mais atteint au minimum 223milliards de dollars, sachant que la dépense de la GrandeBretagne, de la Suisse et de plusieurs autres pays, en l’absence de chiffres fiables, n’a pas été comptabilisée dans ce total.

Des tendances lourdes dessinent un avenir proche où les services à caractère éducatif et le commerce de ces services poursuivront leur expansion. La demande de services éducatifs ne peut en effet qu’être amplifiée par divers facteurs à l’œuvre dans nos cultures et nos économies: volonté des parents d’aider leurs enfants à trouver un emploi, développement de la formation tout au long de la vie, exigences des entreprises, dont l’évolution rapide rend nécessaire une remise à jour régulière des savoirs et des savoirfaire, développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui permettent une diffusion élargie, souple, individuelle des savoirs, se jouent des barrières et des réglementations, se prêtent particulièrement bien à une production industrialisée et à une distribution de type commercial.

En France même, si l’enseignement scolaire, réputé non rentable, intéresse encore assez peu les investisseurs, la formation, elle, est souvent assurée, déjà, selon des modalités privées, soit par des établissements publics (formation continue dans les établissements universitaires ou le CNED) ou par des entreprises privées (enseignement scolaire hors contrat, enseignement à distance, formation continue dans divers domaines linguistiques et technologiques spécialisés, ingénierie éducative). La libéralisation des services éducatifs est déjà un fait. Elle joue parfois déjà en faveur de groupes étrangers, comme l’exemple de Microsoft ou, dans un registre différent, celui de 1’INSEAD le montrent.

Cette évolution est facilitée par celle du système productif, qui tend à accorder moins d’importance aux diplômes, en général, et aux diplômes de l’État en particulier, et davantage à la formation proprement dite, un titre devenant très vite obsolète. Par ailleurs, la législation française est vraisemblablement une des plus libérales qui soit au monde, davantage que celle de certains États des USA, par exemple, qui imposent aux enseignants scolaires exerçant sur leur sol, même à titre privé, d’être titulaires des diplômes américains requis. De même, la réglementation qui régit en France l’ouverture d’un établissement met-elle très peu d’obstacles aux initiatives privées étrangères. Quant à l’enseignement à distance, il ignore toute entrave. Or les freins aux échanges éducatifs et au commerce des services correspondants (freins à la mobilité des étudiants ou des enseignants, limitations apportées à la reconnaissance des diplômes ou à la mise en place de certifications ou d’établissements étrangers) sont pour l’essentiel de nature réglementaire. Les seuls obstacles que la France maintient encore en l’espèce concernent les conditions d’accès à la fonction publique (principe du concours) et à un nombre de plus en plus restreint de professions réglementées (auxiliaires de justice, professions de santé).

Ainsi, le service public de l’éducation qu’il incombe de défendre et de promouvoir n’apparaîtil en première analyse pas directement et gravement menacé en France par la perspective d’une libéralisation organisée du commerce des services éducatifs, d’autant plus que de nombreux États sont attachés eux aussi à la préservation de leur propre service public. La solidité du dispositif français paraît relativement protégée, tant qu’il n’est pas porté atteinte aux grands principes et prérogatives de l’État: monopole de recrutement dans les établissements publics d’enseignement et plus généralement dans la fonction publique, monopole de la collation des grades et gratuité de l’éducation, sous réserve, toutefois, que l’État veille à garantir la qualité exemplaire des services qu’il offre ainsi gratuitement.

A contrario, il pourrait même se révéler avantageux pour la coopération et les opérateurs français de faire tomber chez nos partenaires des barrières qui n’existent pas en France, afin de faciliter nos propres exportations de services éducatifs.

Mais des menaces, indirectes celles-ci, pèsent bien sur le service public: elles sont déjà à l’œuvre, du fait de l’intégration européenne, du fait de l’existence d’un important secteur privé pour partie subventionné par l’État et du fait d’une concurrence où les opérateurs français se présentent en ordre dispersé. Combinées aux deux principes du GATT: la clause de la nation la plus favorisée et le traitement national, ces menaces pourraient produire des effets dangereux à long terme.

L’Union européenne porte des coups répétés aux principes qui régissent l’accès à la fonction publique en France. Dans un pays où la fonction publique emploie une fraction considérable de la population active, les certifications, les concours publics et, par voie de conséquence, les formations qui y conduisent, perdraient rapidement une grande partie de leur valeur, le jour où ils cesseraient de constituer un préalable à l’accès à la fonction publique. À partir du moment, en outre, où ces modalités de recrutement seraient battues en brèche dans un cadre européen et où les États européens s’ouvriraient à une mondialisation du recrutement, le jeu de la clause de la nation la plus favorisée ferait perdre à l’État français tout contrôle sur les conditions de titres pour le recrutement de ses enseignants. À ce point de vue, comme à d’autres, on relève d’ailleurs que le processus de l’Accord général sur le commerce des services (GATS), s’il était poursuivi, pourrait à terme porter sévèrement atteinte à la spécificité de l’espace européen.

L’existence d’un secteur privé souscontrat important, qui bénéficie des subventions de l’État, a déjà fait l’objet d’attaques devant les tribunaux de l’Union, de la part d’établissements étrangers installés en France et qui demandaient le bénéfice d’un soutien analogue au nom du principe de non discrimination. Dans un contexte de libéralisation et de déréglementation, l’État français pourrait se voir contraint d’apporter une aide équivalente à des établissements américains, par exemple, pour ne pas être accusé de fausser le jeu de la concurrence, au nom du principe du traitement national. Pour le même motif, le CNED a déjà fait l’objet de critiques de la part de la Commission européenne, parce que ses enseignements de formation continue, grâce à l’aide de l’État (traitements des fonctionnaires qui y concourent, subventions), sont moins chers que ceux de la concurrence privée. En matière de formation continue, les établissements universitaires prêtent le flanc au même reproche. Une libéralisation à l’échelle mondiale exposerait l’État français à des poursuites judiciaires devant les tribunaux internationaux ou le contraindrait à renoncer à dispenser des enseignements de ce type.

Il convient enfin de noter qu’en matière de formation continue et d’enseignement, à distance, voire d’ingénierie éducative, la concurrence est déjà très active. Dans ces domaines, les opérateurs français, faute d’avoir pris toute la mesure de l’enjeu et de s’être organisés en conséquence, ont fait porter leurs efforts dispersés sur des segments du marché, sans grande cohérence, alors que leurs concurrents étrangers se constituent en puissants consortiums d’établissements publics ou non et d’entreprises. En France comme à l’étranger, leurs offres rivalisent difficilement avec celles de leurs concurrents. Cette faiblesse compromet dangereusement à terme la position du système éducatif français en France même et dans un contexte international.

Le Délégué aux Relations Internationales et à la Coopération

Thierry Simon

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